J'ai parlé, je parle trop. Vaut mieux se taire.

Je n'ai jamais entendu d'arbre parler des fruits qu'il allait donner, ni de ses bourgeons à éclore. Il fait. Il sait. Il n'a rien à prouver.

Et pourquoi le pommier donne des pommes et non des prunes?

Et pourquoi les cerises ne poussent-elles pas dans le fraisier?

Pourquoi l'orangier a décidé de donner des oranges, non pas des pamplemousses?

Il n'a rien décidé du tout. Il est juste lui-même. Et accomplit ce pourquoi il est. Ce qui est inscrit au plus profond de ses racines... Destinée? Réalisation?

Il me vient en tête cette histoire, cette femme avec qui ma mère a travaillé autrefois.

Une secrétaire, comme elle, dans un cabinet d'avocats. "Elle était assez solitaire, elle lisait beaucoup. A l'heure du lunch, elle mangeait seule, silencieuse, prise dans un bouquin."

Ma mère ne lui a jamais beaucoup parlé. Elle en a su plus long sur cette femme quelques années plus tard, alors qu'elle avait publié un livre, puis une longue série d'autres qui a eu un grand succès et l'a fait connaître.

Probablement personne, ou très peu, savait qu'elle écrivait. Peut-être écrivait-elle tous les soirs, chez-elle, s'évadant ainsi de la réalité écrasante des quatre murs gris du bureau d'avocats. Peut-être écrivait-elle jusqu'à tard dans la nuit, créant un monde, un univers qu'elle seule voyait, auquel elle était seule à croire. Peut-être arrivait-elle souvent les yeux fatigués au bureau, d'une nuit sans sommeil...

Probablement personne ou presque ne connaissait son talent et ses dons.

Personne, sauf elle. Et son coeur qui lui dictait les mots. Et son envie plus forte que tout.

Coûte que coûte, elle accomplissait ce pour quoi elle était faite. Sans en attendre les fruits.

Le poirier finira toujours par donner des poires.

Peu importe comment vous l'appelez.