Elle est venue habiter chez-moi quelques temps, dans mon petit apartement à Paris.
Elle travaillait dans un resto-café et rentrait très tard dans la nuit. Je dormais alors à cette heure.
J'aimais l'entendre essayer de faire le moins de bruit possible. Elle se posait à la table de la cuisine, grignotait des biscuits qui craquotaient, silencieuse et seule avec elle-même.
Cela avait l'air si bon. D'être elle.
Cela m'apaisait de la savoir là. Dans la pénombre de la nuit.
Elle allait au marché et cuisinait. N'importe quoi, tout était bon. C'était sa magie à elle. Elle arrivait à faire de l'exquis avec tout. Ce qui lui passait sous la main. Oeuf. Tomates. Lait. Hop. Une tortilla succulente. Et du pain tendrement arrosé de tomates, huile d'olive et ail. Un délice.
Avec elle, l'instant était simple, facile, délicieux.
L'instant est tel une nappe jetée sur la table d'un festin.
Elle avait quelque chose de grave au fond des yeux, et dans le sourire. Comme si elle avait déjà beaucoup trop vu, beaucoup aimé, beaucoup vécu. Elle ne semblait jamais vraiment surprise ou étonnée de la tournure des événements, de la vie.
Ce doit être pour cela qu'elle réussit à faire du bon avec tout. Elle connait la véritable nature des choses, des pommes de terre jusqu'au persil. Elle n'est plus à espérer ce qu'elle aimerait qu'elles soient. Elles les prend pour ce qu'elles sont, et en fait ainsi ressortir le meilleur. Dans leur essence.
Elle a cette tristesse en elle, comme une ponctuation qui l'accompagne. D'avoir perdu des êtres chers, d'avoir vu la mort de près. Elle a ses fantômes qui marchent à ses côtés.
Quand vous êtes avec elle, il n'y a que vous qui comptez. Pareil que lorsqu'elle cuisine. Le monde s'arrête. Carrottes, petits pois, vous, moi. Nul différence. Elle offre toute son attention et chacune des secondes. Généreuse, entière. Telle une pieuvre aux mille bras, elle façonne l'instant de ses mains.
Merci, belle femme. La vie est tellement meilleure cuisinée..
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