Droguée

"Moi ma drogue, c'est ma musique."

On attend au même arrêt de bus. Chacun revenant et allant quelque part. On ne se connait pas.
On a juste apercu la même chose, au même moment.
En face de nous, sur le terre-plein entre les deux voies, une femme. Elle marchait un peu étrangement, avec des jambes qui semblaient aller trop vite pour elle. Et sa tête qui allait de chaque côté. Un corps qui bougeait de partout.
On aurait dit qu'elle avait trop d'énergie pour contenir sa peau. Trop de vie pour contenir son corps.
"Cette fille-là est en manque".

En manque de quoi? En manque d'amour? En manque de se sentir vivante? En manque d'exister. En manque de manquer.
J'aurais voulu aller la sauver. Mais comment? De quoi aurait-elle le plus besoin? "De drogue. D'argent pour la payer. Elle serait prête à tout."
J'aurais voulu la prendre dans mes bras. Elle ne veut pas de bras. Elle ne veut plus de bras. Elle veut justement disparaître de ces besoins qui ont manqués. Et c'est en les niant qu'ils deviennent plus forts.
Elle voudrait s'échapper. Et c'est en s'échappant qu'elle meurt à petit feu.
"C'est tellement dommage de gâcher sa vie comme ça." Je n'avais jamais vu cela comme ça. Oui, bien sûr, je ne pensais pas que c'était la meilleure chose à faire de sa vie. Mais il a touché un point important: gâcher sa vie. Et cela implique que l'on choisit, toujours. De la gâcher ou d'en faire plus grand. Et pourquoi pas quelque chose de grandiose.
Etre prête à tout pour la drogue. Pourquoi pas pour se créer la vie merveilleuse qu'elle n'a jamais eu? C'est la même énergie, les mêmes viscères.

Je me suis dit qu'on était tous des drogués de quelque chose. On a tous une plaie à panser. Et des baumes qu'on va chercher de différentes façons, par différents moyens.
Je me sentais comme cette fille, à ce moment, en la regardant marcher au milieu de la rue. Ne sachant plus où aller, quoi faire de son corps. Je voyais un animal perdu qui cherche désespérément à se nourrir.
Je ressentais si fort sa souffrance. Parfois, la vie ne suffit pas. Il faut trouver comment. Il faut trouver pourquoi. Il faut trouver où.

"Moi ma drogue, c'est ma musique".
Il est si attendrissant avec sa lucidité mêlé à la pureté qui s'émane de lui.

Moi, je suis comme cette fille. Aucune différence. Même vulnérabilité. Même souffrance. Même besoin d'exister.
J'ai seulement trouver une drogue bonne pour ma santé. Heureusement. Et qui me donne le sens.
Ma drogue c'est mon Art.
Ma drogue c'est le monde.