Clown triste

Un clown triste.

"Tu as la bouche en banane, elle sourit tout le temps." J'avais dit à mon père quand j'étais petite, en jouant avec ses lèvres pour les ramener vers le bas. Comme un clown triste.

Un clown triste s'est éteint hier, dans un Eldorado appelé Californie. Il avait lui aussi le sourire en banane, et des yeux qui pétillaient la vie.

Est-ce qu'on peut sourire même quand on est triste? Oui, m'a dit le clown. Une fois qu'on a appris à faire la marionnette, on la fait, encore et encore. Parce que c'est tellement mieux de faire rire. Tellement plus beau. Si on ne se fait pas rire soi-même, au moins fait-on rire les autres.

Qui voudrait me voir pleurer en épluchant les oignons? Pas seulement les oignons, il y a aussi la pluie qui me fait pleurer, les avions dans le ciel, les crocodiles des sacs à mains... Mais ça ne sert à rien de toute façon, dit le clown triste. Ça ne rend pas le monde plus beau.
Et il accroche un sourire.

Quand il rentre chez-lui, le clown triste, c'est sur la patère qu'il accroche son sourire, en même temps que son manteau. Et ce n'est que lorsqu'il est seul que son sourire en banane, si fatigué d'être vers le haut, tourne vers le très bas. Personne pour le voir, personne pour être déçu. Il peut être triste à sa guise. Autant qu'il réussit à faire rire, il excelle à se faire pleurer.

Si on avait su qu'il était triste le clown, on l'aurait pris dans nos bras, n'est-ce pas?
Est-ce qu'on peut sécher des larmes, même si tel un ruisseau, l'eau se renouvelle toujours?
Est-ce qu'on peut guérir un coeur qui saigne? Où mettre le pansement?

Je ne sais pas pourquoi le clown était triste. Il ne me l'a pas dit. Je sais qu'il y a une foule de raisons pour l'être. Que je n'énumérerai pas, pour ne pas vous rendre tristes aussi.
Il y en a probablement autant que pour sourire.
Et je pense qu'en regardant le ciel, le sourire en banane peut rester accroché vers le haut un moment.