C'est grave, Docteur?

C'est sans fin.
Je pourrais écrire des pages et des pages entières, je pourrais raconter une galaxie d'histoires, j'en aurais encore d'autres. Plein d'autres. Je n'aurai jamais fini.

Est-ce que j'ai manqué d'oreilles quand j'étais petite? Est-ce que j'ai trop regardé Mary Poppins?
Est-ce qu'il existe une pilule pour que le monde dans ma tête ne sorte pas par mes oreilles?
Est-ce que c'est grave, docteur?

Je pourrais parler, et parler et parler, j'aurais encore trop de choses à dire.
Je pourrais dire, et dire et dire, autant que le vent balaie les feuilles des arbres.
C'est comme le magicien qui sort un ruban du chapeau, et qui le fait défiler et défiler, toujours plus long. Plus long que sa fin.
C'est comme un torrent où il y a toujours de l'eau, encore et encore, et toujours de l'eau.
Est-ce qu'on peut se noyer là-dedans?

Comment est-ce que je pourrais avoir une vie normale, moi!
Juste vaquer à mes petites occupations. Faire du shopping, la fête, partir en week-end, regarder la télé, manger des tartines avec de la confiture en les trempant dans le café, lire tranquillement le journal?

Pas possible de faire tout ça la tête tranquille!
Parce que quand je fais ça, je ne fais pas autre chose.
Et pendant ce temps-là, le ruban du chapeau s'entortille et s'entortille et s'entortille..

Je suis comme ces petites figurines sur deux pattes avec une manivelle dans le dos. Il faut les tourner pour enclencher le mécanisme. Sauf que moi, on a beaucoup trop tourné dans mon dos.
C'était peut-être durant mon sommeil, sans que je m'en aperçoive. Tellement tourné qu'on a cassé le mécanisme.

Alors qu'est-ce que je fais avec ça, moi?
Je serai ainsi à jamais? Un ruban qui se déroule et déroule et déroule sans s'arrêter. Une poupée qui avance et avance et avance en parlant..

Bon. Ça fera des tartines pour les autres.
En mangeant, ils pourront peut-être m'écouter?