Coin de lune

Ça demande de l'énergie parler, vous ne trouvez pas?
Certains jours, j'ai envie de faire la grève. Qu'on ne m'adresse pas la parole, qu'on ne me demande rien. Q'on ne me regarde même pas, tiens.
Je veux la paix.

C'était une journée de ce genre, et j'étais à l'université.
J'entre dans les toilettes. Une fille de mes cours place ses cheveux dans le miroir. "Bonjour". "Bonjour".
Même pas tranquille dans les toilettes.

Je sors. Elle m'attend. Ah. On va au cours ensemble. J'en rêvais.

J'entre dans l'auditorium. On est beaucoup trop serrés ici.
Elle s'assoit à côté de moi. Je lui fais une place. J'avais justement besoin de compagnie.

Je l'avais déjà vu dans les cours, cette fille. Elle a un côté assez distant, très discrète. J'avais même pensé que je ne l'intéressais pas vraiment.
J'ai donc fait quelques blagues, cessé de faire la grève, j'ai réussi à la faire rire un peu.
Le cours a commencé.

Après le cours, elle m'attendait pour marcher ensemble jusqu'au métro. J'avais fait le deuil de mon épisode d'ours mal léché, j'aimais bien la voir sourire. Dehors, la lune était si belle.
En discutant, elle s'est confié: "C'est un peu dur en ce moment, on a appris que mon père a le cancer."

Culpabilité quand tu me tiens. "Oh. Je suis désolée."
On a parlé. En se quittant, je me suis sentie toute bête et inutile. Je l'ai prise dans mes bras en lui disant de faire des prières. Je n'ai rien trouvé de mieux à dire, ni à faire. Qu'est-ce qu'on peut faire devant la douleur et le malheur des autres?

On est responsable. Du bonheur de chacun. Parce qu'on ne sait jamais ce qui se cache derrière un sourire, ou un semblant de. Ce qui se cache derrière un soupir, un regard au loin, des yeux dans la lune.

On est responsable de faire quelque chose. D'être le quelque chose qui manque.
Écouter. Un mot. Un sourire. Juste un coin de lune. C'est la lune.
Parce qu'on est tous un petit bout de Nous.