Dix jours en silence.
J’avais très peur avant d’y aller. J’ai changé
d’idée des millions de fois, trouvant une foule d’excuses : « de
toute façon, je n’ai pas envie d’être moine.. ». Sachant très bien que j’y
allait surtout pour le défi, le dépassement de moi-même et de mes peurs. Ma
plus grande crainte face à cette expérience n’était pas le silence. J’avais
déjà fait quelques jours de Mauna (silence) dans un ashram, et cela m’avait
fait sentir infiniment paisible. Au contraire de l’isolement que j’avais appréhendé à ce moment-là,
je m’étais sentie encore plus liée à tout autour de moi ; aux gens, à la
vie, la nature, les oiseaux. Comme davantage réceptive, et même, étrangement, l’impression de communiquer plus facilement et naturellement, sans la parole qui
limite.
Devant la retraite qui m’attendait, mon
angoisse se trouvait plutôt face aux heures interminables passées assise en méditation,
ainsi que l’absence de contact avec tout autre personne. J’avais peur d’être
face à moi-même, et de voir des parties sombres surgir. J’avais peur de rencontrer ces fantômes et démons dont on m'avait parlé, et qui se
révèlent paraît-il quand on a les yeux fermés.
Finalement, j’ai relevé le défi! Plus de
dix heures de méditation par jour, sans bouger, dans un petit coin de nulle part, en Inde. J’ai eu très froid –la chambre était humide
et je dormais avec huit couvertures, survêtements ouatés et chaussettes de
laine. J’ai eu très faim – je ne sais pas pourquoi cela donne si faim d’être
assise sur un coussin sans bouger pendant des heures à méditer. Deux repas par
jour, le soir seulement thé et fruits. J’ai bu des quantités considérables de thé
Chaï, une des seules choses qui me réconfortait (j’ai paranoïé en m’imaginant
que tout le monde me regardait me resservir, le sourcil relevé en se
disant : « Pffft ! »). J’ai nettoyé le sol à quatre pattes
comme les indiennes chaque matin, avec balai et serpillère (j’avais une énergie
folle à dépenser), les ai regardé faire chaque jour leur rituel de
ménage. J’ai eu des moments de bonheur inexprimable, en observant la famille de
singes qui se baladait sur nos toits, et celle de fourmis par terre, trimbalant
leurs brins d’herbes. Je n’ai rencontré aucun fantôme ou démon. Dans mes yeux
fermés, je n’ai vu que beauté, amour et joie. Quelques obsessions bien sûr, par-ci par-là: "je suis sûre qu'elle me déteste, elle ne me regarde pas..". L'échange visuel est interdit.
J’aurais probablement gagné le
concours de sourires (oubliant plus d’une fois cette règle proscrivant les contacts). Les sourires c’est du contact ?!
Pendant la retraite, les hommes et les femmes sont dans des endroits
séparés. Après les dix jours, on avait toutes tellement hâte de se parler. Ces douze
femmes avec qui j’avais tant partagé de silence en si peu de temps. Et du
silence, c’est beaucoup d’intimité. Je
connaissais leur respiration, leur façon de tenir leur châle sur les épaules
pour méditer, de croiser les jambes, de fermer les yeux. J’avais observé leur
façon de bouger, de marcher, de manger. Je connaissais leurs couleurs, à
chacune différentes, sans ne rien connaître de leur vie, de leur nom.
-Ma voisine de coussin m’a demandé en hindi le
nom de mon parfum, elle avait remarqué que je portais quelque chose qui sent
bon..
Je pense qu’il faudrait moins parler et plus
se voir.
À la fin de ces dix jours, j’étais quand même très
heureuse d’ouvrir les yeux!.. Méditer pour mieux voir, d’accord. Méditer pour
fermer les yeux à la vie qui grouille autour, dommage.
On aura les yeux clos bien assez vite ! Vivons.
On aura les yeux clos bien assez vite ! Vivons.
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