lundi 21 novembre 2016

Danser sous la pluie

Elle donne des massages à Phuket.
Cela fonctionne très bien pour elle. Elle, elle mange des nouilles, mais son fils est ingénieur maintenant. Elle en est très fière. "Ingénieur". C'est un des mots qu'elle sait très bien prononcer en anglais.
Je préfère écrire 'elle donne des massages' que 'elle masse'. C'est plus joli.
C'est un besoin essentiel, le toucher. Dès que l'on sort du ventre de la mère. Un nouveau-né peut mourir de ne pas être touché.
Elle n'a pas toujours fait cela, elle n'a pas non plus reçu un appel de l'au-delà pour offrir ce don qu'elle avait. Elle a simplement observé que les massages, cela marche en Thaïlande. C'est payant. Elle devait trouver une façon de faire vivre ses deux enfants et de payer les études.
"On s'est divorcés, avec mon mari, et il n'a jamais rien payé. Je dois me débrouiller toute seule."

Habituellement, je préfère rester silencieuse pendant que je me fais masser. Mais avec elle, c'est différent. Je sens qu'elle a besoin de parler. Ses enfants sont à Bangkok, sa fille est toujours aux études. Et elle, elle vit ici, seule dans son petit studio de massage. Il y a une chambre et une salle de bain. Une machine à riz. Oh, et une télévision dans la chambre, qu'elle m'a dit.
Quand elle n'a pas de client, le soir, elle préfère le silence. Elle est bien toute seule, elle aime manger, cuisiner, regarder la télévision. Juste ne rien faire, parce qu'elle est très fatiguée. C'est un travail exigeant.
Elle me demande si je prends un verre de temps en temps. "Oui, parfois, bière ou vin, avec des amis.." Elle me dit qu'elle aime aussi, "mais je n'ai pas d'ami ici", qu'elle ajoute dans un fou rire. Mon coeur se brise, et j'ai envie de lui dire que je suis son amie.
Puis, elle me parle des hommes, qu'elle n'aime pas les Thais, "plus jamais.." Mais qu'elle aimerait bien rencontrer un homme "peut-être", avoir une histoire, peut-être.. Elle dit cela, et j'entends dans sa voix comme une petite fille qui joue dans l'eau avec ses bottes de pluie. Une cascade d'espoir. J'imagine ses yeux qui brillent, mais j'ai les yeux fermés, je me fais masser.
Puis je sais qu'elle y croit fort encore. Qu'elle est bien toute seule, avec la télévision, mais qu'elle attend l'amour.
Et je sais que tous l'attendent encore, peu importe les déceptions et les blessures.
J'ai rencontré beaucoup de gens, de différents pays, de vies, d'univers opposés.. Et tous recherchent la même chose. Tous, sans exception, ont un coeur qui bat pour l'amour.
Et quand ils en parlent, même s'ils tiennent fort leur parapluie, je les entends rire et danser sous la pluie.

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